Être Reconstructeur dans la SFIO. Qui est Victor Remay ?

Un article de Thierry Hohl 

La question se pose au détour d’une brève liste de soutiens au Comité de Reconstruction de l’Internationale en date du 18 décembre, parue dans le Populaire. L’intérêt pour cette énumération de militants naît de l’ébauche d’une recherche sur les reconstructeurs, sur le Comité pour la Reconstruction de l’Internationale, finalement assez peu étudié, peu travaillé en tant que tel. De ce constat, naît une curiosité, le souci de reprendre la liste des signataires pour faire un portrait de groupe dont l’utilité serait de nuancer le tableau fait de la SFIO au moment de la scission, afin de mettre en arrière-plan ces reconstructeurs peu connus. C’est alors que dans la dernière liste parue par le Populaire avant le congrès de Tours apparaît le nom de Victor Remay, c’est alors que la mécanique de la curiosité s’enclenche pour situer le personnage. Cette signature fait écho à sa présence parmi les membres de la Commission d’études et exécutive du Comité pour la reconstruction de l’Internationale lors de sa fondation1. Comment débuter une enquête sinon par la consultation du Maitron en ligne, instrument de recherche indispensable au chercheur sur le mouvement ouvrier.

Dans une brève notice, sous le nom de Remay, est mentionnée sa signature de l’appel du Comité pour la Reconstruction de l’Internationale comme militant de la 9e section de Paris ; un ajout situe mieux le personnage puisqu’il est cité comme membre de la Commission exécutive de la fédération de la Seine2. A cet instant, s’arrête la recherche ; V. Remay puisqu’ainsi il s’appelle n’est donc qu’un militant de plus, cadre subalterne, un des reconstructeurs minoritaires en ce mois de décembre 1920 dans la SFIO. Alors vient le hasard, celui d’un confinement, de ses conséquences, des difficultés d’accès aux archives, alors vient le moment de la mise à disposition à travers Gallica3, de ressources importantes, de la presse. Le hasard d’une époque amène à se plonger dans les pages de la BNF numérique pour donner corps à ces militants souvent négligés, à tenter de trouver la trace de ces personnages obscurs auxquels la lumière s’attache au fil des découvertes. Pourquoi V.Remay ? Le hasard et l’époque.

Qui est V.Remay ? Alors commence la recherche dans Le Populaire4, organe des Reconstructeurs restés fidèles à la ligne politique définie au congrès de Strasbourg, de recherche de la meilleure voie pour reconstruire une Internationale révolutionnaire, soutien de la Révolution russe, non inféodée à Moscou qui regrouperait partis et fractions hostiles aux politiques menées durant la guerre par les majorités socialistes adhérentes aux politiques d’Union sacrée. S’ensuit un regard sur L’Humanité avant la scission. Puis l’intérêt se déplace vers le mouvement socialiste d’avant l’unité à travers la lecture d’articles du Socialiste5, d’autres organes encore. Avec surprise puis un intérêt soutenu, un parcours se devine à travers des mentions brèves, quelques signatures d’articles, rares. L’enquête s’élargit aux dimensions des portails d’archives, de revues pour trouver trace de Victor Remay ; se multiplient les pistes à partir des fragments indiciaires glanés. L’ensemble ne donne pas de cohérence à une biographie, laisse des béances mais trace un portrait en creux et en pleins d’un militant socialiste. Qu’en est-il ? Dans Le Populaire, sa présence se manifeste de 1919 à 1934, longévité que ne suppose pas la lecture de la notice du Maitron. Dans L’Humanité, son activité se repère dès 1904 et se lit jusqu’à la scission en décembre 1920. Dans Le Socialiste, la première mention repérée est du 13 mars 1903, la dernière dans Le Populaire du 21 août 19346. Ainsi, on passe de deux ans, si l’on suit le Maitron, à trente et un ans de vie militante, ce qui n’exclut en rien que sa vie militante soit bornée par ces deux dates

De ces premières recherches, un portrait se précise, suscite l’intérêt, donne de l’épaisseur, dessine les traits d’un militant.

Qui est Victor Remay ?

Que savons-nous de sa biographie ? Lui-même dans un article du Populaire donne sa date de naissance, 18797. Victor Remay se nomme en fait Victor Mayer, la double signature se retrouve à la fin d’un article de mai 19198. Doté de cette information, il faut faire retour vers le Maitron lequel au départ est peu loquace. Un Victor Mayer est bien présent mais son activité est uniquement rapportée aux élections législatives de 1928 lors desquelles il se présente sous les couleurs de la SFIO dans la 2e circonscription de Versailles, en Seine-et-Oise9. Victor Remay est donc un de ces « inconnus » du Maitron. Le constat peut être nuancé à la lecture d’une dernière notice, écrite à partir du Grand dictionnaire socialiste de Compère-Morel10. Sous le nom de Remay est présenté un membre actif du POF, membre et propagandiste de la fédération de la Seine, délégué de la fédération du Nord au congrès de réunification. Est-ce le même ? Victor Remay est donc dispersé en deux notices, peut-être trois, ce qui pose la question de sa postérité et plus largement de ces militants ayant fait le choix de la Reconstruction autant que des sources convoquées pour rédiger les notices, fragments isolés de parcours militants dont la cohérence échappe au premier abord.

De cette vie militante en France dont la discontinuité frappe dès l’abord, que sait-on ? Nous avons de la visibilité sur trois grandes périodes en France, entrecoupés de blancs, d’hypothèses, de silence dans la presse. La première est courte, va de 1903 à 1905, marquée par un militantisme dans le Nord et dans la Seine, la seconde voit Victor Remay accéder à des responsabilités dans la fédération de la Seine, quand la troisième le retrouve militant dans la fédération de la Seine-et-Oise.

Avant la date de 1903, que savons-nous de Remay ? Dans l’article sur les geôles de Nicolas II, il dit avoir passé deux mois de prison à Kiev en 1899. Cela nous laisse supposer un engagement en Russie du côté des forces révolutionnaires, l’amenant à être arrêté par la police tsariste11. Une autre source comble en partie ces lacunes, son dossier militaire12. Il est né le 11 novembre 1878 à Irkoutsk, de Simon Mayer et Rebecca Kapp. A la date où la mention est notée soit en 1900, il est présenté comme étudiant à Kiev. Déclaré insoumis le 2 février, il se présente volontairement le 20 février. A cette date, il est incorporé au 116e régiment d’infanterie avant d’être renvoyé dans ses foyers l’année suivante eu égard à l’âge de son père (« septuagénaire »). De la naissance à son incorporation, de la nationalité russe à la citoyenneté française, se place une émigration familiale dont on ignore la cause. L’antisémitisme peut ici être convoqué comme hypothèse de la migration de la famille. Demeure d’autres interrogations : pourquoi le choix de faire ses études à Kiev ? Est-ce dans l’objectif de militer ? Cela répond-il à une volonté personnelle, familiale ?

A partir de 1903, Le Socialiste, ancien organe du Parti ouvrier français, alors publication centrale du Parti socialiste de France (PSDF), devient notre source principale pour les deux années 1903-1904. Victor Remay est un orateur très présent dans les réunions qui concernent tant l’international que le national. Son rôle ne se limite pas à des prises de parole comme lors de réunions de protestation contre la répression en Russie puisqu’il est l’organisateur d’une série de réunions autour de la présence du socialiste italien Enrico Ferri13. Ce militant internationaliste est également un acteur de la scène socialiste française puisqu’il intervient dans des réunions du PSDF comme orateur désigné par la fédération de la Seine en 1903 et en 190414. Cet engagement l’amène à être délégué de la fédération du Nord au congrès d’unité de 1905, tenu à la salle du Globe du 23 au 25 avril 1905. A ce moment deux interrogations émergent. La première est celle de son rapport militant au Nord et au Parti ouvrier français, la seconde est celle de la possibilité d’avoir deux Remay, l’un du Nord, l’un de la Seine en 1903-1905. Cette deuxième hypothèse apparaît peu plausible s’il n’est pas aisé de la délaisser totalement. Confirmant l’existence d’un seul militant, nous retrouvons un Remay, délégué de la social-démocratie russe à l’inauguration du monument aux morts commémorant le massacre de Fourmies15. Cette insertion dans le mouvement guesdiste se retrouve dans un courrier adressé à Jules Guesde en 190216. Pour autant, il est ardu de continuer dans cette voie en l’état de l’enquête. La dernière trace dans la période de Victor Remay est un article donné dans L’Humanité en décembre 1905, introduit par Jean Longuet, qui le présente comme le correspondant du journal à Kiev, au cœur de la révolution russe17. A compter de cette date, nulle trace jusqu’à la participation à une réunion électorale dans le IXe arrondissement en 1914. Comment interpréter ce silence, créé par les sources disponibles ? L’hypothèse la plus certaine est qu’il passé une période en prison en Russie puisqu’il indique avoir fait trois séjours en prison sous Nicolas II dont une fois en 1912 à Petrograd avant son expulsion vers la France18. Le livret militaire confirme cette hypothèse puisqu’il indique en 1905 un voyage en Russie à compter du mois d’août et en 1909 sa présence est signalée à Saint Peterbourg.

Ce retour (lisible) en 1914 sur la scène politique française se heurte à la déclaration de guerre. Deux sources, son livret militaire, ce qu’il écrit dans ses articles laissent entrevoir son parcours dans le conflit mondial. Rappelé en 1914, il est versé dans la 4e section d’infirmiers avant d’être affecté au dépôt français des troupes russes en 1916. Victor Mayer est ensuite nommé officier interprète lors d’une mission en Russie que l’on suppose être intervenue entre 1917 et 1919. Il est démobilisé le 21 avril 1919. Ses écrits précisent son parcours durant les années de guerre. En 1918, il indique être à Odessa en février19, avant de se retrouver à Moscou dans les rangs de la mission militaire française en juin, avant ou après un passage à Arkhangelsk 20. Il rentre en France en mars 1919, « après 20 mois de mission », ce qui place le début de sa mission en 191721. Plusieurs questions restent en suspens : A-t-il eu des contacts avec les bolcheviques 22? les mencheviques ? S’est-il cantonné à son activité militaire d’interprète ?

Rentré de Russie, Victor Remay reprend son activité militante dans la Fédération socialiste de la Seine. L’année 1919 le voit se porter candidat puis être élu à la Commission exécutive de la fédération dont il préside parfois les réunions23. Sa candidature se fait dans la liste A, celle de la majorité de la CAP, héritière de l’ancienne minorité de guerre24. Il est présenté comme faisant acte de candidature individuelle à la CE de la Seine, le 6 avril 1920 ce qu’il dément le lendemain25. A ce refus, quelles motivations ? La première est politique, le refus de se porter candidat dans une fédération dont la majorité est passée à la IIIe Internationale, ce que refuse Remay dont l’attitude le verrait condamné à être minoritaire dans le vote de sa section. La seconde hypothèse est personnelle, son déménagement en Seine-et-Oise, ce qui le rendrait peu disponible pour un engagement dans la fédération de la Seine. La première hypothèse est sans doute la plus pertinente puisqu’il indique son appartenance à la 9e section dans son soutien au Comité de Reconstruction de l’Internationale. Au militantisme socialiste, se surimpose un engagement dans les rangs des Anciens combattants, dans l’ARAC puisqu’il est signalé comme intervenant à Aulnay dans une réunion comme membre de la 9e section de l’association d’Anciens combattants26. Sa présence militante n’apparaît plus ensuite que dans Le Populaire, souscripteur le 12 décembre 1920, puis adhérent au manifeste de la reconstruction le 18 décembre 1920. Après la scission, Victor Remay devient militant de la fédération SFIO de la Seine-et-Oise dont il préside le congrès en juillet27. Délégué au Congrès de Lille en octobre 1921, il intervient sur la nécessité d’avoir un délégué permanent à la propagande pour la banlieue parisienne avant d’être membre de la Commission des résolutions pour la politique internationale28.

La fédération le délègue à nouveau au congrès tenu à Lille en 1923, où en compagnie de Barrion il est candidat à la CAP proposé par la fédération, sans grande réussite29. A noter qu’il est membre de la Commission administrative de la fédération de la Seine-et-Oise au moins jusqu’en 193130.

Parallèlement, Victor Remay poursuit son activité de conférencier, puisqu’il est l’orateur d’une conférence annoncée pour le peuple russe, en septembre 1921, ainsi que de plusieurs réunions en 1923.31 Son importance relative se manifeste par sa candidature lors des élections législatives de 1928 dans la deuxième circonscription de Seine-et-Oise. Battu lors du premier tour, il se retire au deuxième tour sans donner de consignes particulières32. Il est à nouveau candidat à Sèvres en 1931 aux élections cantonales33 puis soutient le candidat socialiste aux élections de 1932. Ses dernières apparitions, repérées, datent des années 1933 et 1934 quand il publie une série d’articles sur le cinéma. Après la date du 21 août 1934, les recherches menées dans le quotidien socialiste n’aboutissent à aucun résultat tangible. Que devient Victor Remay ?

Qui est Victor Remay ?

L’aperçu d’une vie militante ne résout pas la question posée. Avec la documentation rassemblée, nous pouvons tenter d’aller plus loin, interpréter les indices, poser les jalons d’un parcours politique. Le premier ressort de son action est l’appartenance à la Social-démocratie russe. L’incertitude domine sur son action en Russie mais des éléments se font jour quand elle trouve de l’écho en France. Victor Mayer n’est pas un personnage anodin puisque Le Socialiste le présente comme secrétaire du groupe parisien du Parti ouvrier social-démocrate russe (POSDR)34. C’est à ce titre que Le Matin lui consacre un entretien afin qu’il explique au lecteur français les tendances anti-gouvernementales en Russie35. Sa participation à l’inauguration du monument au mort de Fourmies, se fait comme délégué étranger de la « Ligue de la Social-démocratie russe »36. Dans ses activités de propagandiste du PSDF, Victor Remay donne une conférence sur les principaux évènements de la Commune et les enseignements qui en découlent, devant la 5e section, « grosse de plusieurs membres de la colonie russe »37. Son action en 1903-1905 mêle interventions au nom du parti français et du POSDR dans la fédération de la Seine. En juin 1904, Victor Remay est présent à la fête de l’Union socialiste italienne de France38 et le 26 juin, dans un grand meeting sous la présidence de Vaillant39, dans les deux meetings, il représente le POSDR. Cet entrelacs des engagements dans la période pose questions, appelle à la formulation d’hypothèses. La première interrogation porte sur le statut de Remay dans le cadre de la social-démocratie russe, sa place, ses positions dans les batailles internes entre bolcheviques et mencheviques. La seconde se place sur le plan des relations entre le socialisme français et russe et du rôle qu’il y joua. Pour la première, par défaut de lecture et de compréhension du russe, il est difficile de retrouver la place de Victor Mayer dans les débats qui agitent la social-démocratie russe. Une référence dans les Archives nationales en complexifie le portrait40. Le dépouillement des Fonds F7 effectué par Michel Lesure donne une entrée nouvelle sur l’activité de Victor Mayer41 . Citons l’intitulé du dossier en date du 31 janvier 1904 : « Bellegarde. Renseignements sur l’imprimerie du Bund dirigée par Nathanson et Lazarus Mûlken ; ses agents (Koppelson dit Timotieff) ; envois en Russie par Mayer à Paris (2 pages) »42.

Ainsi, Victor Mayer serait membre du Bund, qui avait quitté le Parti ouvrier social-démocrate russe l’année précédente. Est-ce Victor Remay ? A ces questions, il n’y a pas de réponse définitive, l’enquête est à poursuivre. Mais, une piste se précise, celle qui ferait de Victor Remay un intercesseur entre le socialisme français et les militants russes. La lettre envoyée à Jules Guesde en 1902 précise le trait : « Cher citoyen, Plekhanov43 m’a prié de lui envoyer les numéros du Travailleur où étaient publiés vos articles sur la Commune de Paris. Comme il est impossible de trouver ici44 une collection complète de ces numéros, je vous serais très obligé si vous vouliez bien m’envoyer à moi, ou bien directement à Plekahnov (6 rue Caudolle, Genève), les numéros en question ».

Ces traces n’ont pas valeur de preuve mais elles donnent des indices qui confirment ce rôle de Victor Remay comme intermédiaire et plus largement comme membre de la communauté de l’Internationale telle qu’Elisa Marcobelli en théorise l’existence45.

A son retour de Russie en 1919, il change de rôle, du moins dans ce qui nous est lisible, pour devenir conférencier chargé de relater les aléas de la Révolution russe. Cette connaissance de la Russie lui sert à animer des « causeries » au sein de la SFIO dans les années 1919-192046 mais également en dehors du Parti puisqu’il est conférencier le 6 février dans une réunion de l’Université Populaire de la Semaille (20e arrondissement)47. Il se fait dénonciateur de la répression tsariste, en plusieurs occasions dans Le Populaire48. Est-ce son statut de membre de la social-démocratie russe en exil qui en fait le représentant de la Commission exécutive de la Seine aux obsèques de Boris Kritchevsky en octobre 191949 ? Mais cette présence n’est pas signalée sous le signe de la double appartenance quand nombre d’exilés russes sont présents à l’enterrement en tant que représentants de leur organisation. Ne peut-on suggérer que cela est bien le symptôme du changement de rôle de Victor Remay devenu militant socialiste français, spécialiste du monde russe et soviétique ? Il continue après la scission à donner des conférences sur son sujet de prédilection dans la fédération de Seine-et-Oise jusqu’au moins 193050. Un dernier témoignage de son attachement au monde russe est son emménagement à Meudon, ville dans laquelle s’installe une forte communauté d’exilés dans les années de l’entre-deux-guerres51. Quelles sont ses relations avec cette société composée en partie de russes fuyant la Révolution ?

Ce rapport à la Russie n’est pas le seul fait saillant de son engagement, puisque ce militant russe est également « un propagandiste éclairé », pour reprendre le Grand dictionnaire socialiste, cité par le Maitron52. Repérée à l’orée du siècle, son activité propagandiste s’inscrit dans un cadre institutionnel plus défini à partir de son retour en France. En 1919, après son élection à la Commission exécutive de la Fédération de la Seine, il devient membre de la sous-commission de la propagande et à ce titre chargé de rédiger une affiche commémorant l’anniversaire de la République des soviets. Son militantisme, ses capacités, le font nommer secrétaire de la Commission de propagande53. La seconde hypothèse est confortée par son appartenance au Comité de direction de l’école du propagandiste de la Fédération de la Seine54. Après la scission, dès le mois de février 1921, est annoncée la création d’une école du propagandiste dirigée par Remay55. Si le scepticisme est de mise sur la réussite d’une telle initiative, il devient secrétaire à la propagande, lors du congrès de la fédération en juillet56.

Un détour par son activité professionnelle fait mieux comprendre son intérêt pour la propagande. Lors de sa candidature dans la 2e circonscription de Versailles, il est présenté comme journaliste. Des traces de son activité existent à partir de la consultation de la revue 1895 : « V. Remay, « Abel Gance nous parle de La Roue et de ses projets », Mon Ciné, 12 avril 1923. »57.

La revue Mon Ciné est accessible sous forme numérisée mais de manière partielle dans le portail des Bibliothèques de Paris, Bibliothèque François Truffaut. Sa participation dans la revue Mon ciné est attestée pour l’année 1923, lors de laquelle il écrit des romans-ciné qui paraissent dans au moins deux numéros58. De cette activité professionnelle, il conviendrait d’aller plus avant, examiner ses liens possibles avec les cinéastes russes émigrés, sa participation à d’autres revues. Un lien se fait avec son activité de propagandiste puisqu’il expose son projet de propagande par le film dans le congrès de la fédération en 193359. S’ensuivent une série d’articles dans le quotidien socialiste dans lesquels s’exposent ses conceptions de la propagande et les formes qu’elle peut prendre60. La première grande série d’article repose sur le reportage filmé et débute par une interview du dirigeant de Pathé, prélude à une enquête poussée dans le domaine de l’information sans que Victor Remay ne dissimule ses intentions61 : « Dans le monde qui est le nôtre où de sinistres craquements annoncent le prochain écroulement d’une société arrivée à la fin de son existence jadis glorieuse prétendre à une attitude apolitique est un leurre ».

La conclusion de son enquête est explicite : « La classe ouvrière n’a pas le droit d’abandonner à ses adversaires une industrie qu’elle fait vivre de ses deniers et qui se retourne actuellement contre elle »62. Son intérêt pour le cinéma comme instrument de propagande est repéré par Eric Nadaud, qui en fait un précurseur des tentatives de Marceau Pivert de créer un cinéma socialiste militant63 à travers l’expérience de « Notre cinéma ». Le Populaire fait la publicité de l’initiative dans un encart64 : « Par sa diffusion, par la puissance suggestive de l’image, le cinéma aujourd’hui, modèle les mœurs, façonne les esprits. A notre tour, nous allons nous en servir. (…) A la tête de « Notre cinéma » se trouve notre camarade Victor Mayer (Remay), vieux militant du Parti, ancien secrétaire de la commission de propagande de la fédération de la Seine ». Annonce est faite trois jours plus tard du départ de Remay pour trois mois en province65, mais auparavant une séance est organisée pour la 14e section avec la présence de Mayer. Il faut attendre le mois d’août pour avoir une relation par Victor Remay de cette tentative de propagande par le cinéma. Un modèle se dégage à partir du premier article ; le cadre est un café tenu par un sympathisant, un dessin animé débute, suit un documentaire sur la tuberculose avant un entracte qui précède la projection du film Quatre de l’infanterie. La séance se conclut par une allocution filmée de Mireille Osmin contre la guerre66. Cette activité se clôt de manière brutale le 22 août 1934 à la fin de sa relation de la tournée de propagande dans le Pas-de-Calais. Que devient Victor Remay ?

Qui est Victor Remay ?

A lire ce qu’en rapporte la presse, Victor Remay est, au regard du socialisme, un de ces militants que l’on peut qualifier d’intermédiaire, un de ceux qui font marcher les fédérations sans obtenir de rétribution particulière. Membre de la CE de la Seine en 1919, il n’est pas représenté par les reconstructeurs pour les élections internes de 1920. Plusieurs explications sont possibles. La première est son peu de représentativité dans le cadre de la construction d’un collectif de noms à opposer tant aux tenants de la IIIe Internationale qu’à ceux de la Vie socialiste. La seconde repose sur la possibilité de désaccords sur l’analyse de la Révolution russe et sur l’interprétation qui en est faite au sein des Reconstructeurs. La méfiance, voire la dénonciation, par Victor Remay, du bolchevisme est, au moment du dépôt de la motion, mise sous le boisseau par les Reconstructeurs, lesquels marquent leur différence sur le fonctionnement de l’Internationale plus que sur la critique de la naissante République des soviets. En témoigne cette accroche d’un article paru trois mois après son retour de Russie :

« Des camarades du Parti socialiste qui me connaissent me reprochent de ne pas avoir ramené de Russie des convictions bolchevistes. Je continue à faire des réserves sur la tactique léniniste et sur les modalités des réalisations communistes en Russie »67.

A la lecture de cette introduction, il est probable que ce soit ces « réserves » qui aient valu à Victor Remay son absence dans les listes initiales des Reconstructeurs. Pour autant, sa signature in fine, de la déclaration du CRI marque son soutien aux positions défendues dans Le Populaire, particulièrement en ces jours qui précèdent le Congrès de Tours. Sa critique du bolchevisme comme « déformation »68, ne signifie pas ralliement au Comité de Résistance socialiste, regroupement minoritaire situé à droite du parti en ces derniers jours de 1920.

Cette signature vaut fidélité aux positions minoritaires, devenus reconstructrices à l’hiver 1919 malgré la possibilité d’un désaccord sur le cours de la révolution russe. La scission passée, Victor Remay manifeste un attachement aux principes énoncés dans ces années 1918-1920. L’hypothèse repose sur une intervention faite au congrès fédéral en janvier 192469 dans laquelle il se prononce pour des listes autonomes pour les élections législatives à venir, celles qui voient la victoire du Cartel des Gauches70. Il y a là décalque de la position exprimée dans la motion Bracke de 1919, qui entraîna la constitution de listes autonomes socialistes dans le cadre du scrutin de novembre de la même année. En ce mois de janvier 1924, Victor Remay exprime une position devenue minoritaire mais qui était celle de la nouvelle majorité de 1918 le retour à l’autonomie socialiste dans le cadre du système républicain après la politique d’Union sacrée menée par les majoritaires de guerre.

Il faut maintenant revenir sur Victor Remay, sur le personnage tel qu’il s’approche, en ces années 1919-1920. C’est d’abord un membre du Parti ouvrier social-démocrate russe ainsi que le présente Jean Longuet. Il est emblématique de ces exilés socialistes russes qui influencent une partie de la gauche des Partis socialistes européens. Ainsi, Le Populaire se fait l’écho des discours de Martov au congrès de l’USPD sous le titre « Une critique marxiste des idées de Moscou »71. Dans la période qui précède le Congrès de Tours, les Reconstructeurs tentent de maintenir une communauté internationale dont une des composantes est la social-démocratie russe ce qui a comme effet de maintenir la Révolution russe comme évènement fondateur mais d’en contester le cours impulsé par les bolcheviques soutenus par leurs rivaux français du Comité d’adhésion à la IIIe Internationale. Victor Remay n’a ni l’envergure d’un Martov ou d’un Dan mais il participe de cette communauté internationale réduite, qui trouve un débouché dans la Conférence de Berne en décembre 1920. Sa participation aux réunions de l’ARAC amène d’autres indices. Il anime des meetings pour l’association dans les années 1919-1920, dont trace a été conservée par le Combattant72. A ce titre, Victor Remay prend le chemin d’une sociabilité d’ancien combattant dont nous n’avons malheureusement aucune trace visible. S’est-il construit comme tant d’autres un pacifisme viscéral, repérable dans son animation des séances de « Notre cinéma », majoritaire dans la SFIO jusque dans les années 1937-1938 ? Cette hostilité à la guerre manifeste son engagement dans les rangs de la nouvelle majorité socialiste de 1918. Elle est un des facteurs de son adhésion à la Reconstruction.

De traces en fragments, la construction du portrait de Victor Remay en Reconstructeur, en militant socialiste laisse des ombres, des grisés dans un tableau aux couleurs effacés.

Qui est Victor Remay ?

1Le Populaire, 14 janvier 1920.

3Dans sa version gratuite et la version de Retronews.

4 Fondé par Jean Longuet pour soutenir les efforts de la minorité de guerre dès 1916 ; il devient quotidien du soir en 1918.  Lors de l’année 1920, il reste fidèle aux thèses du Comité de reconstruction de l’Internationale ce qui ne va pas sans débats internes, départs dans la rédaction. A compter du Congrès de Tours, il devient le quotidien de la SFIO.

5Il s’agit de l’organe du Parti ouvrier français puis du Parti socialiste de France, dominé par la figure de Jules Guesde.

6Repéré veut bien dire qu’il en existe peut-être d’autres dans les publications socialistes.

7Victor Remay, « En prison, en Russie, sous SM Nicolas 2 », Le Populaire, 31 août 1919.

8V. Remay (Mayer), « Bolcheviste ou non, il faut sauver la révolution russe », Le Populaire, 25 mai 1919.

11Victor Remay, « En prison, en Russie, sous SM Nicolas 2 », Le Populaire, 31 août 1919

12Consultable en ligne : http://archives.paris.fr/s/17/etats-signaletiques-et-des-services-militaires/resultats/? Ce qui est écrit dans le livret militaire infirme ce que Victor Remay indique sur sa date de naissance.

13Pour les meetings de protestation contre la répression en Russie, voir Le Socialiste du 31 mai 1903, pour le cycle de conférences données par Enrico Ferri, L’Action du 15 février 1904.

14Le Socialiste, 5 et 12 juillet 1903, 31 janvier et le 29 mai 1904. A la date du 31 janvier, il est inscrit pour être le conférencier du Parti pour deux réunions pour le mois de février.

15« Le massacre de Fourmies », Le Socialiste, 10 mai 1903.

17« Révolution Russe », L’Humanité, 7 décembre 1905.

18Victor Remay, « En prison, en Russie, sous SM Nicolas 2 », Le Populaire, 31 août 1919.

19V.Remay »Qui sème le vent »…, Le Populaire, 24 novembre 1919.

20Victor Remay, « Le capitaine Sadoul et le général Lavergne », Le Combattant, 8 novembre 1919.

21Victor Remay, « Bolcheviste ou non, il faut sauver la Révolution russe », Le Populaire, 25 mai 1919.

22Dans l’article du 8 novembre 1919, il indique avoir croisé Sadoul sans le connaître plus avant.

23L’Humanité, 30 août 1919.

24Le Populaire, 31 août 1919.

25L’Humanité, 6,7avril 1920.

26L’Humanité, 4 septembre 1920.

27Le Populaire, 31 janvier et 12 juillet 1921.

28Le Populaire, 30 octobre et 1er novembre 1921.

29Le Populaire, 28 janvier 1923.

30Le Populaire, 10 septembre 1931.

31Le Populaire, 10 septembre 1921, 22 juin 1923.

32Le Populaire, 23 février et 26 avril 1928. Entre ces deux dates, Le Populaire rend régulièrement compte de ses réunions publiques.

33Le Populaire, 18 septembre 1931, 7 avril 1932.

34Le socialiste, 29 janvier 1905.

35« Entretien avec Mayer-Remay, secrétaire du groupe parisien des social-démocrates russes », Le Matin, 27 janvier 1905.

36« Le massacre de Fourmies », Le Socialiste, 10 mai 1903.

37« 5ème arrondissement. Célébration du 32ème anniversaire de la Commune », Le Socialiste, 29 mars 1903.

38Le Socialiste, 12 juin 1904.

39Le Socialiste, 26 juin 1904.

40Michel Lesure, « Les mouvements révolutionnaires russes de 1882 à 1910 d’après les fonds F7 des Archives Nationales », in Cahiers du monde russe et soviétique, vol. 6, n° 2, avril-juin 1965. p. 279-326. www.persee.fr/doc/cmr_0008-0160_1965_num_6_2_1626

41Carton n°12521.

42Le Bund est une organisation socialiste juive née dans l’Empire russe. Il propose de créer une nationalité laïque dont la langue serait le yiddish. Il s’oppose tant au sionisme qu’au bolchevisme dont il récuse les thèses centralisatrices.

43Théoricien marxiste russe, fondateur de la social-démocratie russe. Devint menchevique par la suite. A l’époque de la lettre, il est exilé en Suisse depuis une vingtaine d’années.

44La lettre est adressée de Paris, le 9 avril 1902.

45Elisa Marcobelli, L’internationalisme à l’épreuve des crises, Nancy, Éditions de l’arbre bleu, 2019. En particulier le chapitre 1, « Créer un sentiment communautaire ».

46« Causerie à la Boulogne Billancourt », L’Humanité, 22 mars 1919, réitéré le 27 juin à la 2ème section.

47L’Humanité, 30 janvier 1920.

48Victor Remay, « Les atrocités antibolchevistes. L’enfer de Moudiouge », le Populaire, 12 juin 1919, « En prison en Russie sous SM Nicolas II », Le Populaire, 31 août 1919.

49« Les obsèques de Boris Krivtchevsky », L’Humanité, 6 octobre 1919. Sur Boris Kritchevsky, voir la notice du Maitron https://maitron.fr/spip.php?article97471

50Toutes les indications qui suivent sont issues du Populaire : le 10 septembre 1921 est annoncée une conférnce sur le peuple russe à Vernouillet, le 26 octobre 1928 sur socialisme et bolchevisme, en mars 1930 à Meudon, sur Russie et bolchevisme.

51Une réunion de la CA de la fédération de Seine-et-Oise doit se tenir chez lui en septembre 1931, 17 bis Grande rue, Bellevue, Meudon. Le Populaire, 10 septembre 1931. A noter qu’il n’apparaît pas dans le recensement de 1936 de Meudon.

53L’Humanité, 26 novembre 1919.

54L’Humanité, 7 février 1920.

55« En Seine-et-Oise », Le Populaire, 9 février 1921.

56Le Populaire, 31 janvier et 12 juillet 1921.

5828 janvier 1923, Soyez ma femme. Roman-Ciné par V.Remay, d’après le film de Max Linder, 28 octobre 1923, Calvaire d‘amour V. Remay. D’après le scénario et la mise en scène de V.Tourjansky, film tiré de l’œuvre de Mme Noël Bazan.

59« Seine-et-Oise : le congrès administratif du 23 juillet », Le Populaire, 5 août 1933.

6023, 24, 26, 28, 29, 30, 31 août, 1/, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 septembre 1933. Une série sur « Les mystères des reportages filmés ». Une autre série intitulée « Pendant que parle l’écran sonore » » court du 4 au 10 avril (le 4,7,9, 10), 23 avril, 7 mai au 23 mai. La dernière suite d’articles se fait aux dates suivantes : 15 , 16, 17, 18, 20, 22 août 1934 ; elle raconte la « Tournée de Notre cinéma ».

61Victor Remay, « les mystères du reportage filmé », Le Populaire, 23 août 1933.

62Victor Remay, « les mystères du reportage filmé. XV», Le Populaire, 9 septembre 1933.

63Eric Nadaud, « Le nouveau militantisme socialiste », Le Mouvement Social, n° 153, octobre-décembre 1990.

64« Un nouvel essor de propagande. Notre cinéma », Le Populaire, 28 décembre 1933.

65« Notre cinéma », Le Populaire, 31 décembre 1933.

66Strictement fidèle au déroulement annoncé le 28 décembre 1933.

67« Bolcheviste ou non, il faut sauver la Révolution Russe », Le Populaire, 25 mai 1919.

68Ibidem.

69« Le congrès fédéral de Seine-et-Oise », Le Populaire, 21 janvier 1924.

70Sur ce point, je me permets de renvoyer à mon ouvrage, Thierry Hohl, A gauche. La gauche socialiste de 1921 à 1947, Dijon, EUD, 2004.

71« Une critique marxiste des idées de Moscou », Le Populaire, 29 octobre 1919.

72Présence dans les réunions avérées dans des articles des 8 novembre 1919 et du 10 août 1920.